Texte 1 : Contre l' avocaillon Posthumus. (Martial, VI, 19)

Le poète Martial naquit en 64 après J-C à Bilbilis, dans la partie espagnole de l' Empire Romain. Il quitta
sa famille pour venir tenter fortune à Rome, où il s' illustra dans le genre littéraire mineur de l' épigramme.
Celle-ci est un court poème qui a ordinairement un caractère satirique. Dans ses épigrammes, Martial met
toute sa verve à stigmatiser les ridicules de ses contemporains. Même s' il n' égala jamais la gloire des plus
grands, son talent lui valut rapidement une belle notoriété. Son sens aiguisé de la chute, c' est à dire du mot
de la fin habilement amené, faisait mouche auprès de tous les publics, gens du peuple comme intellectuels.

L' épigramme suivante transporte le lecteur dans le for intérieur d' une victime d' un vol. Celle-ci s' adresse
à l' avocat censé prouver au juge son dommage, pour qu' il se concentre sur son sujet plutôt que d' évoquer
avec grandiloquence des épisodes fameux de l' l' Histoire romaine. De tels épisodes étaient régulièrement
débattus entre étudiants-avocats dans les écoles de rhétorique.

In Posthumum causidicum

Neque de vi neque caede nec veneno

sed lis est mihi de tribus capellis.

Vicini queror has abesse furto.

Hoc iudex sibi postulat probari.

Tu Cannas Mithridaticumque bellum 5

et periuria Punici furoris

et Syllas Mariosque Muciosque

magna voce sonas manuque tota.

Iam dic, Posthume, de tribus capellis.

Contre l' avocaillon Posthumus

Ce n' est pas pour une agression, ni pour un meurtre ou un empoisonnement,
que je suis au tribunal, mais au sujet de trois petites chèvres.
Je me plains d' en être dépossédé suite au vol commis par un voisin.
C' est ce que le juge demande qu' on lui prouve.
Toi cependant, Posthumus, le verbe haut et le geste ample,
tu fais résonner dans le prétoire Cannes, et la guerre contre Mithridate,
et les parjures de la folie punique, et les Sylla, et les Marius et les Mucius.
Posthumus, parle donc des trois petites chèvres !

Le sel de cette épigramme réside dans le contraste comique entre l' importance historique des faits évoqués
par l' avocat dans des digressions grandiloquentes et l' insignifiance du fait divers qui arrive devant la justice.
Cette épigramme est une charge contre l' éloquence boursouflée des avocats qui ne savaient pas se démar-
quer des joutes oratoires auxquelles on les avait habitués dans les écoles de rhétorique, où on leur donnait
à traiter des sujets déconnectés de la réalité des prétoires. Ils devaient, par exemple, s' exprimer comme l'
aurait fait telle ou telle figure historique dans telle ou circonstance, réelle ou fictive. Un public de parents et
d' amis des étudiants assistait à leurs prestations oratoires, applaudies bruyamment ou accueillies avec des
quolibets, selon les clans formés par leurs supporters.

Les explications ci-dessous sont données proposition par proposition, dans l' ordre où chacune se présente
dans la phrase. On distingue les prop. qualifiées de n-subord. (non-subordonnées) et les subord.
-- Les n-subord. se subdivisent en 1) én(onciatives), exprimant un fait
2) impér(atives), exprimant une volonté sous la forme d'un ordre, d' une
invitation, d' un conseil, d' une prière ou d' un souhait
3) interr(ogative) ou excl(amative), exprimant une question ou une excla-
mation
-- Les subord. se subdivisent en 1) compl(étives) a) cpt obj. (complément d' objet) b) S réel (sujet ..) d' un
v. impersonnel c) en app(osition) d) interr./excl. indir. (.. indirectes).
2) cc (cpt circonstanciel) : elles indiquent des circonstances nombreuses et
variées qui entourent le fait exprimé dans une n-subord.

Une lettre de l' alphabet en rouge et en gras marque l' ordre de succession et le début de chaque proposition.
Une lettre minuscule indique une subordonnée, une majuscule, une n-subord. Chacun des mots analysés se
présente dans l' ordre où il apparaît dans la traduction française. Il est noté en gras, sauf sa finale interchan-
geable, s' il en a une. L' analyse proprement dite est précédée entre crochets droits des indications fournies
par un dictionnaire concernant le mot analysé.

Sur le Web on peut consulter le remarquable dictionnaire latin-français de Jeanneau, Woitrain, Hassid.
Dans le commerce, on trouvera l' excellent dictionnaire de poche latin-français publié chez Larouse dans la
collection Dictionnaire Maxi Poche Plus (reliure déficiente). Il existe de nombreuses grammaires latines publi-
ées sur le Web. Celle de Jacques Gaillard et Jean Cousteix (Nathan) nous paraît particulièrement recomman-
dable.Les règles de syntaxe sont exposées au coup par coup dans les explications des textes.
L' essentiel de la morphologie est exposé dans les messages intitulés GRAMM. 1/2/ ...

Titre : In + Ac. : contre, prép. introduisant le cdn prépos. (complément de nom prépositionnel) causi-
dic-um [ -us/i : l' avocat nom composé du nom  caus-a/ae (la cause en justice), et du thème  dic- du v.
dic-o/e -re (dire, parler, ici : plaider). Etymologiquement ce nom signifie le plaideur de causes ; il a ici une
connotation péjorative : l' avocaillon ] cdn de epigramma  s-ent. (sous-entendu)  [ epigramma, mat-a :
l' épigramme transcription dans l' alphabet latin du nom grec désignant un poème de ce type] N.s, ser-
vant de titre Posthum-um [ -us/i : Posthumus nom propre désignant un homme ] Ac.s en app. (appo-
sition) à causidicum  Tr. : Epigramme  Contre l' avocaillon Posthumus.

A) lis [ lis, lit-is : l' affaire en justice, le procès ] N.s, S de es-t [ s-u m, es-se ( v. irr.) : être employé
ici  dans  la locution  lis  es-t m-ihi : un procès est à moi = j' ai un procès = je suis en procès/au tribunal ]
pr. ind. 3s, v. de la n-subord. én. m-ihi [ ego : moi, me ] D.s M du pr. pers. 1s représentant le personnage
dont nous avons sous les yeux le monologue intérieur non : non pas  adv. nég. (adverbe de négation), porte
sur de vi  de  + Ab. : au sujet de, à propos de, concernant, relativement à prép. introduisant les 3 Ab.s cc-rel.
(cpt circonstanciel de relation, répondant à la question relativement à qui ? à quoi ? ) vi, caede, veneno , cpts
(compléments) de lis est mihi  v-i [ -is/is : la violence, ici, valeur concrète : l' agression , à l' Ab.s ce
nom a gardé la finale ancienne  -i  des noms paris. M/F  de la 3e décl. ] Ab.s neque : ni, coordonne vi
et caede (des termes coordonnés ont toujours la même fonction grammaticale, mais pas nécessairement la
même nature) caed-e [-es/is F : le meurtre nom apparenté au v. caed-o/e-re (tuer, assassiner) ] Ab.s
nec : synonyme de neque (voir ci-dessus), coordonne caede et venen-o [ -um/i : le poison, l' empoisonne-
ment ] Ab.s sed : mais, coordonne et oppose aux 3 premiers, le dernier cpt introduit par de (voir  ci-dessus)
tr-ibus [ tr-es (M/F), -ia (NT) : trois ] dét. num. card. (déterminant numéral cardinal) de capell-is [-a/ae : la petite chèvre diminutif de  capr-a/ae (la chèvre) ] Ab.p
Tr. (traduction la plus proche possible du latin) : J' ai une affaire en justice (= Je suis au tribunal), non pas
pour une agression, ni pour un meurtre, ni pour un empoisonnement, mais au sujet de trois petites  chè-
vres.

B) quer-or [ -or/i : déplorer, se plaindre que introduisant en fr. une subord. compl. cpt obj. dont, en latin,
le v. est à l' inf. et le S à l' Ac. ] prst ind. -or = je, v. de la n-subord. én. Tr. : Je me plains …

c) h-as [ h-ic/aec/oc : lui pr. pers. n-réfl. 3s  ] Ac.p F (représente les 3 petites chèvres), S de ab-es-se
[ ab-s-u-m, -es-se (v. irr.) : être absent, n' être plus ou pas  là, ab- préfixe exprimant l' absence ou l' éloigne-
ment , ici : n' être plus là ] prst inf., v. de la subord. inf. cpt obj. de queror  furt-o [ -um/i : le vol nom appa-
renté au nom  fur, fur-is (le voleur) ] Ab.s, cc-cause n-prépos. (= prép. suite à en fr.) de abesse  vicin-i
[-us/i : le voisin ] G.s, cdn n-prépos. de furto.
Tr. : (Je me plains) elles n' être plus là (= qu' elles ne sont plus là = d' en être dépossédé) suite au vol
d' un voisin.

Un cdn est habituellement n-prépos. en latin, prépos. en fr. (la prép. couramment utilisée en fr. est de).

D) iudex [ iudex, dic-is : le juge nom apparenté au v. iudica-re (juger) ] N.s, S de postula-t [ postulo, -re :
demander que = compl. inf. cpt obj. en latin ] prst ind. 3s, v. de la princ. én.  Tr. : Le juge demande ...

e) h-oc [ h-ic/aec/oc : le, la chose (N./Ac. sg. NT pr. pers. n-réfl. 3s nominalisé) ou cela, cette chose
(N./Ac. sg. NT dém. nominalisé) ] Ac.s NT, représente la subord. c), S de l' inf. proba-ri [ probo, ba-re :
prouver] prst P-pers. (passif personnel, voir ci-dessous) de l' inf., v. de la subord. inf. cpt obj. de postulat
s-ibi [ s-e : le, lui pr. pers. réfl. indir. (réfléchi indirect, voir ci-dessous) 3s ] D.s, cpt obj. 2d de probari,
représente le juge  Tr. : ... la chose/cela lui être prouvé(e) = --que la chose/cela lui soit prouvé(e).
-- qu' on lui prouve la chose/cela.

Un P-pers. a un S, mais pas de cc-agt (d' agent). Il se traduit souvent par une voix A ayant comme S le pr.
indéf. on, tournure impossible en latin puisque le latin n' a pas de pr. correspondant exactement à on.

Un réfl. indir. est employé dans une subord. rapportant la pensée ou les paroles de quelqu' un, subord.
qualifiée de subord. du st. indir. (style indirect). Ce réfl. renvoie au S du v. introduisant le st. indir.

E) Dans cette longue phrase sont cités des événements et des personnages qui ont fait date dans l' histoire
de Rome. A Cannes, une défaite cinglante fut infligée aux Romains par Hannibal en 216 avant J-C. Mithridate,
le roi du Pont, fut durant de nombreuses années un ennemi coriace des Romains avant d' être vaincu par Pom-
pée. Aux Carthaginois, qui furent longtemps leurs ennemis, les Romains reprochaient souvent leur peu de res-
pect des pactes et traités, pourtant garantis par des serments faits aux dieux. Les parjures s' exposaient à des
représailles divines, ce qui justifie le fait que les Carthaginois soient taxés ici de folie furieuse. Quelques dizai-
nes d' années avant que César ne prenne le pouvoir, Sylla, le chef du parti aristocratique, et Marius, le chef du
parti populaire, se livrèrent une guerre sans merci pour le pouvoir, guerre dont Sylla sortit vainqueur. Mucius
Scévola est un héros de l' époque ancienne où Rome était gouvernée par des rois. Il vint secrètement dans le
camp du roi Etrusque Porsenna, qui assiégeait Rome, dans le but de l' assassiner. Furieux contre lui-même
après l' échec de sa tentative, comme pour la punir d' avoir manqué son coup, Mucius plongea sa main droite
dans un feu allumé pour un sacrifice. Cet épisode est raconté par l' historien latin Tite-Live.

T-u [ t-u : toi ] N.s du pr. pers. 2s en app. au pr. pers. S du v. sonas ; l' asyndète (absence de coordination
avec la phrase précédente) marque une forte opposition, traduire Toi cependant ...  magn-a [ -us/a/um :
grand, fort ] épith. de voc-e [ vox (< voc-s), -is : la voix ] Ab.s, cc-manière n-prép. (= prép. de en fr.), cpt
de sonas, coordonné à manu tota  par -que : et conj. coord. tjrs placée derrière le mot qu' elle coordonne
tot-a [ -us/a/um : tout entier ] dét. indéf. de man-u [ -us/us F : la main ] Ab.s  sona-s [ sono, -re : faire
résonner ] prst ind. -s = tu (Posthumus), v. de la n-subord. én. La phrase se termine par une accumulation
de cpt obj. à l' Ac. qui sont autant de digressions que s' autorise l' avocat pour faire étalage de son éloquence
d' école de rhétorique. Cann-as [ -ae/arum : Cannes village  d' Apulie, en Italie ] Ac.p coordonné par -que à
bell-um [ -um/i : la guerre ] Ac.s  Mithridatic-um [ -us/a/um : ''mithridatique'' traduire "contre Mithridate"
adj. formé sur le nom propre Mithridat-es/is (Mithridate) ] épith. de bellum  et : et, coordonne bellum et
periuri-a [ -um/i : le parjure, le faux serment ] Ac.p  furor-is [ furor, -is M : la folie furieuse ] G.s, cdn de
periuria   Punic-i [ -us/a/um : punique, carthaginois, des Carthaginois adj. formé sur le nom Poen-
us/i (le Carthaginois) ] épith. de furoris  et : et, coordonne periuria et  Syll-as [ -a/ae M : Sylla ]
Ac.p, pluriel emphatique désignant un personnage historique, idem pour les deux Ac. qui suivent
-que : et, coordonne Syllas et Mari-os [ -us/i : : Marius ] Ac.p -que : et, coordonne Marios et
Muci-os [-us/i : Mucius ] Ac.p
Tr. : Toi cependant, d' une voix forte et avec toute ta main (= d' un geste ample) tu fais réson-
ner dans le prétoire Cannes, et la guerre contre Mithridate, et les parjures de la folie puni-
que, et les Sylla, et les Marius, et les Mucius. = Toi cependant, Postumus, le verbe haut et
le geste ample, tu fais résonner ...

F) Iam : donc, adv. portant sur l' impératif dic pour exprimer ici l' impatience Posthum-e : finale spéciale du
V.s des noms M en -us de la 2e décl. dic [ dic-o/e -re : parler (au sujet) de = de + Ab. ] prst impér. irrégulier
2s, v. de la n-subord. impér. de tr-ibus capell-is : voir prop. A)
Tr. : Posthumus, parle donc des trois petites chèvres !

(Martial : avocat ridicule + intr.)

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